Bien qu'une poignée de blogs et autres sites Internet se soient déjà pencher sur le cas Keor Meteor, rien ni personne n'avait jusque là permis à ce producteur Hip Hop parisien au catalogue déjà pléthorique de s'exprimer sur sa musique. Une première dont on n'est pas peu fier dans Tales From The Crate, rencontre avec un beatmaker inspiré et vraisemblablement tombé très jeune dans un chaudron bouillant de microsillons en devenir ...
Tales From The Crate - Indispensable
chapitre d'introduction pour commencer : depuis combien de
temps baignes-tu dans le son et depuis combien de temps en produis-tu
toi-même ?
Keor Meteor - J'écoute du Rap
français principalement depuis la fin des 90's, la période qu'on a
appelé l'âge d'or du Rap français, par la suite j'ai un peu élargi
le champs d'intérêt en me tournant aussi vers le Hip Hop américain.
J'ai vraiment commencé la production
en 2005. A la base j'étais plutôt dans le délire de créer des
instrumentaux pour les rappeurs, j'ai alors bossé avec quelques
artistes locaux. Et puis dans la mesure où je pense que les
beatmakers doivent se construire un univers au même titre que les
rappeurs, la meilleure façon de le faire c'était de travailler
seul, en 2010 est donc venu le temps des beat-tapes, j'ai commencé à
sortir des EP's instrumentaux avec des messages sous formes de
samples de voix.
Dans le Rap le MC prend quand même
toute la place et je n'étais pas certain de vouloir faire passer tel
message avec telle instru, du coup j'ai préféré travailler tout
seul.
TFTC - Entre tes débuts en
2005 et 2010 où tes premiers travaux personnels apparaissent sur le
net, sur quoi et avec qui as-tu travaillé ?
Keor Meteor - J'ai travaillé
avec des rappeurs français, entre autres avec Nill Ness pour qui
j'ai réalisé entièrement l'album "Vision Urbaine" en 2007 qui s'est
distribué dans la rue de la main à la main, avec Drag One en 2008,
avec Lezma en 2009 ...
En fait j'ai produit plein de morceaux
pour du Rap français jusqu'au moment où, ce n'est pas que ça m'a
saoulé, mais j'ai préféré prendre de la distance face aux
demandes des rappeurs au niveau des instrus. Les mentalités ont
beaucoup évolué par rapport au Rap français disons classique, les
MC's veulent des grosses rythmiques, des gros synthés, des instrus
plus lourdes, presque moins musicales dans le sens où c'est vraiment
du bruit maintenant (rires) !
Je voulais garder un son plus Jazz, un
peu Soul, dans l'esprit du Wu-Tang, ça c'est vraiment ma came !
Ça participe au fait que le son arrive plus facilement à voyager
dans le temps, un type qui aura tapé un sample vieillira mieux selon
moi que des compos ... pas foireuses parce qu'il y a des bon strucs
là dedans, c'est clair, mais plus électroniques.
Après ce sont les goûts et les
couleurs, ça ne se discute pas !
TFTC - Pour quelqu'un qui
veut s'émanciper de l’ingrédient MC, tes productions sont tout de
même très bavardes ! Pour ceux qui n'auraient jamais entendu
ta musique, disons que si tu te passes du rappeur c'est pour glisser
dans tes morceaux un tas d'enregistrements, de voix de reportages
etc. Au fond tout ça reste très militant !
Keor Meteor - Oui, c'est comme
ça que j'aime le Hip Hop ! C'est une culture qui se doit d'être
revendicative même si ça part de plus en plus en sucette sur des
trucs festifs, l'essentiel c'est pour moi de partager un message à
travers tes morceaux. Étant donné que je n'arrivais pas à trouver
des MC's qui pouvaient véhiculer ce type de message, soit parce que
c'était trop sérieux, soit parce qu'ils se prenaient la tête, j'ai
samplé ce dont j'avais besoin par moi-même. Après ça plaît, ça
déplaît, peu importe, ça permet de ne pas être neutre face aux
morceaux, moi j'aime quand c'est participatif, quand ça provoque des
réactions ...
TFTC - A propos de réaction
justement, dans la mesure où tu es extrêmement productif, à raison
d'une sortie tous les deux mois voire tous les mois, tu semble
vouloir bosser sur une actualité toujours immédiate. Par exemple
sur "Soft Space", la première sortie de 2012, on trouvait un morceaux
sur le thème de la fermeture de MegaUpload ... Est-ce important pour
toi cette instantanéité dans le propos ?
Keor Meteor - C'était un
événement la fermeture de MegaUpload (rires) !! Et ça
véhicule tout un tas de messages alentours tu vois, tout ce qui
concerne le droit de copyright sur Internet, l'argent, qu'est-ce
qu'on doit payer, qu'est-ce qu'on ne doit pas payer etc. Ça
soulevait un peu tout les débats, même autour des ventes de
disques : est-ce qu'on continue à vendre des disques physiques
ou les artistes doivent-ils se démerder pour toucher leurs droits
directement et sans intermédiaire, ce qui me paraîtrait plus
normal ?
Le délire des grosses maisons de
disques a complètement vidé les artistes. Quand tu vois qu'un type
touche péniblement 10 ou 15% sur la vente des son album c'est
scandaleux ! Et ça s'applique dans tous les domaines, pour tous
les gens qui créent quelque chose.
TFTC - A ce propos est-ce que
la distribution de quasiment tous tes travaux en Free Download
correspond à ce point de vue là ?
Keor Meteor - Ben ouais (rires)
! Aujourd'hui si tu es un auditeur passionné, il y a tellement de
choix sur Internet, des types connus, d'autres pas connus du tout ...
Je pense que c'est au mec qui télécharge ton album de se dire :
bon j'suis plutôt à l'aise en ce moment, j'ai des thunes, j'vais
investir un peu, j'vais me faire plaisir et j'vais surtout faire
plaisir à des types qui se donnent du mal quoi ! Et puis celui
qui n'a pas d'argent, qui bouffe des pâtes tous les jours mais qui a
quand même de remplir son Ipod puisse avoir l'album aussi.
L'essentiel c'est que le message passe, après gratuit ou payant ...
Il faut pas se voiler la face : je fais
du sampling ! Je ne compose que mes batteries et ne paye aucun
de mes samples, je ne vais pas m'approprier le droit d'autrui pour me
faire de l'argent !! Il y a tout un raisonnement derrière, il
faut rester logique.
TFTC - Il faut que le message
passe comme tu dis, pourtant tu n'utilises que des voix anglophones
alors que ne serait-ce qu'en ce moment avec la période que vit la
France et les messages télévisuels qui touchent à l'absurde à un
degré rarement atteint, il y aurait matière à développer !
Pourquoi ce choix de la langue de Shakespeare ? Est-ce que ça
te tente d'aller sampler du français ?
Keor Meteor - Pour être franc
c'est comme ça que le délire a commencé. J'ouvrais tout mes beats
sur une introduction en français un peu à la manière de ce qu'on
entend dans le Zapping, des faits très brefs mais qui permettent
d'avoir un thème. Et puis j'ai remarqué que les français était
moins friands de ça, ça les saoule un peu, la politique, le social
... c'est dommage étant donné que les rappeurs à mon sens doivent
quand même véhiculé un message social, mais bon.
En travaillant avec des samples en
anglais, j'ai remarqué non seulement que ça touchait plus de monde,
forcément, mais que le public adhérait aussi beaucoup plus !
Mais tu sais, j'ai l'impression d'être beaucoup plus suivi par des
américains, des canadiens ou des anglais que par des français, des
belges ou des suisses.
TFTC - Est-ce que ça ne
vient pas plus du type de Hip Hop que tu produis que de la langue que
tu utilises ?La France baignant énormément dans une production
plus électronique, Glitch, Dubstep etc. Alors que tu recherches un
son Jazzy, rond, sonnant un peu Madlib ...
Keor Meteor
- Peut-être. J'ai l'impression que la nostalgie du Old School
commence un peu à fatiguer tout le monde, les mecs veulent avancer,
bon ... On trouve d'ailleurs d'excellents trucs dans le Glitch, le
Dubstep. Moi ce n'est pas ma came et puis c'est tout. J'ai essayé de
produire des trucs dans ce genre mais je ne suis pas dedans, je n'y
crois pas et ça sonne moins bien que chez d'autres producteurs.
J'ai toujours aimé
écouter de la musique pendant des heures, chercher des échantillons,
ça fait vraiment partie du boulot ! C'est ce qui fait la
différence entre des mecs qui composent et des mecs qui font plutôt
dans le sample : tu ne fais pas que sampler le morceau, tu samples
l'époque, tu revisites la musique par la même occasion, ça
enrichit ta culture, ça t'apporte des vibrations et à ta musique
aussi par conséquent. C'est pour ça aussi que j'aime ajouter des
voix, ça permet de faire ressentir cette dimension, ça participe à
une ambiance globale.
TFTC - Coté collaborations
ça commence à décoller un peu pour toi. Qui sont les gens avec
lesquels tu travailles, MC's ou producteurs ?
Keor Meteor
- En fait le site Soundcloud m'a beaucoup apporté. Tu es vraiment
dans une communauté où il y a un niveau de fou ! Tu y trouves
des mecs trop forts !! J'ai fait des sons avec des canadiens,
des anglais, et toujours au feeling. J'essaye d'écouter beaucoup
d'artistes présents sur cette plate-forme, des débutants comme des
artistes confirmés, et toute cette effervescence donne des bons
trucs. Par exemple je suis sur un projet avec un mec de Londres,
Confucius MC, on s'était connecté sur MySpace il y a 2 ou 3 ans et
puis plus rien, jusqu'à ce qu'il m’envoie douze titres énormes
qu'il est en train de faire masteriser et j'attends la sortie avec
impatience, ça devrait sortir bientôt.
J'ai aussi organisé
un genre de concours de freestyle, j'avais plein de beats qui
traînaient et j'ai invité des mecs à kicker dessus. J'ai reçu
des quantités de réponses et ça n'a pas été facile de trier mais
au final, je vais produire un maxi à chacun des artistes
sélectionnés. Je recommencerai sûrement dans quelques mois, il
faudra surveiller ça.
Mais tout ça se
joue naturellement, tu m'envoies un message, je te réponds, normal.
J'évite de me prendre la tête (rires) !
TFTC - Tu es un vrai bourreau
de travail ! Combien de sorties as-tu à ton actif ?
Keor Meteor
- Onze sorties en solo et un album, "Frozen Ennemies", avec Phorsus et
CPrim3, deux MC's respectivement américain et canadien.
Parallèlement à ça j'ai gagné un concours de remix pour
Youssoupha, ce qui m'avait bien surpris étant donné le caractère
des productions en France d'être sélectionné avec un son un peu
Funky !
TFTC - Pour finir, est-ce
qu'on a une chance de te voir un jour en live ou est-ce un aspect de
la production qui ne t'intéresse pas pour l'instant ?
Keor Meteor
- Pas pour l'instant. C'est un tout, il faudrait que je trouve
quelqu'un pour m'aider à développer l'aspect visuel. J'aimerai bien
proposer un aspect vidéo un peu expérimental. Je travaille déjà
avec des skatters et des snowboarders, j’essaye déjà de mettre
des images sur ma musique. Le live ça viendra forcément quand
j'aurai trouvé un ou une bon acolyte qui comprenne ce que je
recherche du coté visuel. Ça permettra de vraiment accentuer la
valeur évocatrice en concert.
Je ne me vois pas
tout seul sur une scène, non je ne me vois pas, vraiment ...
(rires) ! Le live pour un beatmaker c'est trop souvent un truc
d'initiés voire d'experts, j'aimerai bien toucher un public plus
large, au delà du seul aspect technique des prestations.
Merci à Keor Meteor pour son temps, son sourire et son talent ...
Interview by Reverend D, by phone, April 30th 2012.
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